Je ne peux pas écrire sur le féminisme et les violences sexistes sans écrire sur les violences sexuelles. Bien trop souvent, nous sommes confronté.e.s à des atrocités dans les actualités ou nos entourages: meurtres, viols, harcèlement sexuel… Et bien trop souvent, on voit pointer le bout de son nez la carte de la psychophobie pour justifier les crimes. “Il y a des tarés partout”. “Encore l’œuvre d’un.e grand.e malade”… Les exemples sont légion, et on les a tous dit et entendus au moins une fois au cours de nos vies. Mais est-ce que les criminel.le.s sont vraiment des malades?
Sommaire
Pourquoi cette idée reçue?
Se rassurer en déshumanisant le.a coupable
Deux éléments reviennent quand on cherche pourquoi les gens pensent que les criminels sont malades.
La raison la plus simple, c’est que ça permet de se désolidariser de la personne problématique en question. On peut ne pas pouvoir admettre que le ou la coupable soit comme nous face à la violence du crime commis. Qualifier une personne de monstre en le déshumanisant est un exemple très fréquent. L’humain que nous représentons n’est pas la sauvagerie du ou de la criminel.le en question. En plus de se désolidariser, ça permet aussi de nous rassurer nous-mêmes. Non, jamais on ne ferait une chose pareille, on vaut mieux que ça.
… ou en lui prêtant une pathologie psychiatrique
Dire qu’un.e criminel.le est un.e psychopathe, un malade, un.e taré.e permet aussi de se désolidariser pour se rassurer soi-même. Mais le fait de mettre le crime sur le compte d’un trouble psychologique a un effet pervers: la psychophobie, ou la stigmatisation des personnes réellement concernées par les maladies mentales. Double effet Kiss Cool.
D’autre part, établir un diagnostic hasardeux de schizophrénie, de bipolarité ou n’importe quel autre terme psychiatrique utilisé pour faire de la psychologie de comptoir est problématique pour deux raisons. Déjà, c’est stigmatisant et très irrespectueux pour les personnes qui sont véritablement atteintes de ces troubles. C’est mettre tous.tes les patient.e.s psy dans le même panier et leur attribuer des crimes atroces alors qu’iels n’ont rien demandé et qu’iels subissent déjà assez de discriminations à cause de leur santé mentale.
Et la victime dans tout ça?
Ensuite, ce qui est doublement problématique est que ça libère le.a criminel.le de toute responsabilité quant à ses actes. C’est priver cette personne de sanction au motif qu’elle ne savait pas ce qu’elle faisait ou que c’était une pulsion incontrôlable, et potentiellement placer la victime dans la position de l’être sans cœur qui ose porter plainte alors que la personne qui lui a fait du mal n’était pas maîtresse de ses actes.
Le code pénal Français énonce, dans l’article 122-1: « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »
C’est potentiellement priver la victime d’une décision de justice qui pourrait l’aider à se reconstruire. Déclarer un.e coupable irresponsable de ses actes à cause d’un trouble psychiatrique peut mener à un non-lieu ou à une décision d’acquittement au lieu d’une vraie sanction. Le parquet peut même n’engager aucune poursuite si l’irresponsabilité de la personne incriminée ne fait aucun doute, et mener à un classement sans suite. Classer des vies sans suite.
En vrai, ça donne quoi?
Parlons meurtres
Des études ont été menées sur les profils des mis.es en cause, que cela concerne les homicides, les féminicides, ainsi que les agressions sexuelles et les viols. Chaque statistique citée dans cette publication est vérifiable par vous-mêmes grâce aux sources en bas de page.
Il a été révélé que dans les pays industrialisés, le taux d’homicide se situe entre 1 et 5 pour 100 000 habitants. Les troubles mentaux graves sont responsables de 0,16 homicides, toujours sur cette même fourchette de 100 000 vies. Parmi les criminels en question, 2 à 5% d’entre eux souffrent d’une pathologie psychiatrique. Dans la majorité des cas, les criminels malades sont des hommes jeunes, précaires et issus de quartiers défavorisés. La consommation d’alcool et de stupéfiants est un facteur aggravant le risque de violences, que la personne concernée soit malade ou non.
Parlons viols
Selon l’étude “Population et société” de l’INED en 2016, pas moins de 94% des violeurs sont des hommes. En 2020, les forces de sécurité ont mis en cause 27 900 personnes (soit un nombre équivalent à 2019), quasiment tous des hommes (97 %), pour des crimes ou des délits de violences sexuelles.
Les violeurs ne violent pas par “misère sexuelle”. Une étude tenue en 1990 révèle que 89% des violeurs incarcérés pour viol avaient des rapports réguliers plusieurs fois par semaine et étaient satisfaits de leur sexualité.
Le viol n’est pas une pulsion irrépressible, incontrôlable. Les violeurs ne sont pas, pour la grande majorité, des malades mentaux. Pas plus de 7% le sont. Les viols sont la majorité du temps réfléchis, prémédités, et les violeurs cachent le plus possible leurs crimes. Et le plus souvent la victime connait son agresseur. Le violeur n’a pas de profil type, ils sont n’importe qui. Viennent de tout milieu social. Les agressions sexuelles ne sévissent pas que dans les milieux défavorisés, tout le monde est concerné.
Dire qu’un.e agresseur.se sexuel.le est malade, c’est perpétuer la culture du viol, et par extension l’impunité des mis.es en cause. Et ce n’est pas acceptable.
Conclusion
La lutte contre les violences sexistes et sexuelles impose des remises en question et des déconstructions qui peuvent être très difficiles. Même si penser qu’un assassin est forcément un dégénéré est compréhensible, ce n’est ni vrai ni respectueux, que ce soit envers les victimes ou les personnes qui souffrent d’un vrai trouble psychologique. C’est rassurant, de se dire que ce violeur n’est pas humain et n’a rien en commun avec nous. C’est vrai. Mais ce n’est pas acceptable.
Alors oui, il y a des malades parmi les personnes malveillantes. Mais cette part représente une minorité, et par conséquent, on ne peut pas se permettre de généraliser. Ce n’est pas comparable avec le fait de généraliser les comportements toxiques des hommes par exemples, qui sont coupables dans 97% des cas d’agressions sexuelles. Par cette statistique donnée à titre d’exemple, oui, les hommes représentent la majorité des cas, et les femmes occupent les 3% restants. C’est exactement la même analogie qui s’applique dans le cas des maladies mentales chez les criminel.le.s. Dans 95% des cas, les coupables n’ont aucune pathologie psychiatrique, les 5% restants sont occupés par des personnes malades. Au bout d’un moment, il faudrait être cohérent au lieu de généraliser des comportements malveillants quand ça nous arrange. Le sujet d’aujourd’hui concerne les maladies mentales dans la criminalité, mais l’analogie est la même sur d’autres sujets à polémiques.
Il n’y a pas de profil type de criminel. Les coupables peuvent venir de toute classe sociale, de toute ethnie, de tout milieu professionnel. Il n’y a qu’à se pencher sur l’actualité pour voir que les agresseurs sexuels ne sont pas des dégénérés mais des Monsieur/Madame Tout Le Monde. Présentateurs télé, ministres, producteurs artistiques, voisins, proches… Tout le monde est concerné. Donc tout le monde se doit de déconstruire ses idées reçues pour réellement lutter contre les violences sexistes et sexuelles.
Pour aller plus loin
Sources
- Cairn : Les malades mentaux sont-ils plus violents que les citoyens ordinaires?
- Senat.fr : L’irresponsabilité pénale des malades mentaux
- Violences sexuelles et culture du viol, Les vrais hommes ne violent pas, Les Couilles sur la Table, de Victoire Tuaillon.
Bibliothèque
- Une culture au viol à la française, Valérie Rey-Robert – Broché: Libertalia, 18€
- Je suis une sur deux, Giulia Foïs – Poche: Pocket, 6,50€ – Broché, Flammarion, 16€
- Les Couilles sur la table, Victoire Tuaillon – Poche: Points, 8,90€ – Broché: Binge Editions, 18€