C’est avec effroi que nous avons appris la décision de la Cour Suprême Américaine de supprimer le droit à l’avortement de sa Constitution, il y a quelques jours. Revenons sur ce gros retour en arrière sur le droit des femmes et le contrôle de leurs corps par le patriarcat.
Si jamais cet article comporte des termes qui te sont inconnus, tu peux ouvrir la page du Lexique dans un nouvel onglet pour l’avoir à disposition pendant ta lecture.
Sommaire
Comment
Vendredi 24 Juin, la Cour Suprême a annulé l’arrêt Roe v. Wade qui garantissait le droit à l’avortement dans tous les États-Unis. Il était en vigueur depuis le 22 Janvier 1973, et c’est la même Cour qui la votait.
Cette année là, il avait été estimé «l’avortement relevait du droit fondamental et constitutionnel des femmes à prendre les décisions concernant leur propre corps», selon l’historienne Mary Ziegler. Malheureusement, la Constitution Américaine ne protégeait pas ce droit. Il reposait donc sur un équilibre précaire.
Pourquoi?
La natalité blanche aux États-Unis est à son plus bas niveau depuis le début de l’histoire américaine. Et les groupes anti-IVG américains l’ont bien compris. Il y a de moins en moins d’enfants blancs à l’adoption, bien moins que la demande actuelle des couples infertiles. L’interdiction ou la limitation stricte des avortements serait donc pour eux une façon de répondre à la demande des familles qui souhaitent adopter un enfant blanc. Horrible, n’est-ce pas, que des groupes considèrent que la protection des femmes soit moins importante que le déclin de leur sacrée race blanche?
Ce que ça implique sur le droit à l’avortement
On pourrait croire que finalement, ce n’est pas «si grave». Ce n’est pas non plus une interdiction nationale et que l’avortement peut donc être légal ou non pour chaque état de façon indépendante, non?
Le problème, c’est qu’il y a des états qui sont très conservateurs… Et qui rendaient déjà l’accès à l’avortement quasiment impossible.
On se souvient notamment du Texas qui, en septembre 2021, interdisait l’avortement à partir du moment où le cœur de l’embryon battait. Soit à partir de cinq à six semaines… même en cas de viol ou d’inceste. Et la Cour Suprême Américaine n’a rien fait pour annuler cette décision meurtrière, au contraire.
À ce jour, treize états ultra conservateurs étaient en attente que la Cour Suprême supprime le droit à l’avortement de façon nationale en adoptant des «trigger laws» rendant tout avortement illégal à partir de sa décision, excepté pour les cas de risques pour la mère, et parfois en cas de viol ou d’inceste. Une douzaine d’autres suivront. Ils rendront l’avortement tout simplement interdit… Ou en l’autorisant dans un délai ridiculement court, comme l’avait fait le Texas l’année précédente. Plus de la moitié des états interdiront ou limiteront à l’extrême le droit à l’avortement.
Même s’il reste possible d’aller avorter dans un autre état, les classes les plus modestes sont de fait exclues vu le coût qu’engendrerait le déplacement. C’est sans compter sur les autres restrictions qui rendent illégal l’envoi de comprimés abortifs par courrier, ou ces lois qui rendent criminel le fait d’aller interrompre sa grossesse ailleurs.
Et le président?
Joe Biden s’oppose explicitement à cette décision de la Cour Suprême et a tenu une allocution à ce propos. Selon ses mots, «La santé et la vie des femmes de ce pays sont maintenant en danger». Il déplore «erreur tragique» résultant d’une «idéologie extrémiste».
Avec son bras droit Nancy Pelosi, ils ont promis de faire quelque chose contre cette décision. Cependant, les démocrates ne sont jamais parvenus à codifier l’avortement dans la loi. Ils n’ont pas non plus les voix requises pour agir. Il pourrait tenter de jouer sur les législatives de novembre prochain… Mais ce n’est pas gagné d’avance en raison de sa faible popularité.
Ce dernier avait promis la mise en place d’une commission nationale afin de réformer les tribunaux afin de changer la Cour Suprême. Les Américains, majoritairement pour l’avortement, attendent toujours cette commission.
Concernant les anciens présidents, Barack Obama s’est déjà prononcé sur la décision de la Cour Suprême. Il l’accuse d’avoir «attaqué les libertés fondamentales de millions d’Américaines». Du côté des Républicains, Donald Trump soutient cette décision qui est pour lui «la volonté de Dieu». Idem pour son bras droit Mike Pence, satisfait de voir l’avortement «jeté aux oubliettes de l’Histoire».
Religion et État
Officiellement, les États-Unis séparent l’état de la religion. Le premier amendement de la Déclaration des droits (Bill of Rights) adoptée en 1789 prévoit que “Le Congrès ne pourra faire aucune loi concernant l’établissement d’une religion (clause d’établissement) ou interdisant son libre exercice (clause de libre exercice).”
Cependant, cette séparation s’est assouplie depuis les années 90 à cause de l’activisme des groupes de droite chrétiens, de la nomination de juges conservateurs, et par l’élection de présidents républicains chrétiens comme Reagan, Bush ou Trump.
Sachant que près de 70% des Américains sont Chrétiens (Une majorité de Protestants, l’autre part de Catholiques), les politiques conservateurs religieux ont donc été élus par la majorité croyante afin d’appliquer leur politique basée sur leurs principes bibliques. C’est grâce à cette subtilité que la religion s’immisce dans la politique des états américains les plus conservateurs, de façon officieuse.
Parlons contraception et avortement
Il est important de rappeler qu’aucune contraception n’est fiable à 100%. Même si l’implant contraceptif et les stérilets (hormonaux ou cuivre) sont les plus efficaces, il est possible de tomber enceinte. Même avec une utilisation parfaite. En France, 72% des grossesses interrompues volontairement concernent des femmes sous contraception.
Aux États-Unis, les avortements ont continuellement baissé en trente ans, avant d’augmenter de 8% entre 2017 et 2020. En 2019, 74% des femmes âgées de 15 à 49 ans sont sous contraception. Plus précisément, en 2022, 54% de toutes les femmes de la même tranche d’âge prennent une contraception moderne, et c’est le cas de 67% des femmes en couple ou mariées. Toutes méthodes confondues, dans la même tranche d’âge, 62% des femmes sont sous contraception, et 76% des femmes mariées ou en couple sont sous contraception.
81% des femmes sous contraception sont satisfaites de leur efficacité. Cela fait donc près de 20% de femmes qui connaissent des échecs de contraception.
La pilule est deux fois moins utilisée qu’en France (21%), mais le recours à la stérilisation est bien plus fréquent. 43% des Américain•es en couple y ont eu recours, dont 70% de femmes et 30% d’hommes, grâce à la vasectomie.
Les États-Unis sont un pays dans lequel la grande majorité des femmes est sous contraception, dans lequel la stérilisation est pratiquée sans tabou, mais dans lequel la contraception est menacée à cause de conservateurs religieux. Dans certains états, la stérilisation est vivement conseillée pour tenter de baisser le taux d’IVG. C’est ainsi que des militants et politiciens anti-IVG proposent même de suspendre les prestations sociales aux femmes ayant plus de trois enfants jusqu’à ce qu’elles acceptent de se faire stériliser. Et ils osent se présenter comme étant pro-vie. Ils sont surtout anti-choix, on est à ça de la stérilisation forcée grâce à la motivation pécuniaire. Glaçant.
Le contrôle du corps des femmes
Que le patriarcat cherche à contrôler les femmes et leurs corps, ce n’est pas nouveau. Et c’est même très courant! Quelle femme n’a jamais entendu parler d’un homme qui refusait certains vêtement sur sa bien-aimée? Qui n’a jamais entendu parler du scandale des crop-tops dans les lycées? Des jupes au dessus du genou ou de hauts dévoilant les épaules interdites dans d’autres?
La domination des femmes par les hommes est là pour ça: pour maîtriser leur sexualité et leur procréation de manière à leur assurer une descendance. Il en est ainsi dans les trois religion monothéistes principales. Cela mène donc aux tabous sur la sexualité comme le plaisir féminin alors que le plaisir masculin est partout, au slut-shaming, aux mouvement abolitionnistes et prohibitionnistes, au contrôle de l’image de la femme pour ne pas qu’elle paraisse désirable pour le reste de la gente masculine… On connait, même encore en 2022.
C’est Gloria Steinem qui en parle avec brio dans Actions Scandaleuses et Rébellions Quotidiennes. Elle a connu les heures sombres des États-Unis concernant l’avortement. Dans les années 50, elle a eu recours à l’IVG et n’a pas pu le faire là bas. Elle a du partir pour interrompre sa grossesse, et a pu voir de nombreuses femmes décéder à cause d’avortements clandestins parce qu’elles n’ont pas pu partir. Elle a d’ailleurs fait un parallèle entre les lois anti-avortement avec le régime nazi.
« Le contrôle du corps des femmes et des moyens de reproduction est un symptôme précoce de l’autoritarisme », écrivait-elle en 1980. Et aujourd’hui, c’est on ne peut plus actuel.
Le mouvement actuel anti-avortement aux États-Unis a pour but de protéger et de restaurer leur idéal familial. Dans ce modèle, l’homme en est le principal chef. La contraception et l’avortement sont selon eux des mesures menaçant leur idéal familial, tout comme les mesures pour aider à reloger les femmes battues ou les loi de protection de l’enfance. La famille à tout prix, quel que soit son climat de violence. Aussi, la sexualité doit garder comme but premier la procréation. La famille se constitue de l’individu masculin et de sa descendance, et la femme est nulle part.
«Comme si dominer les femmes et le reste de sa famille était un droit absolu des hommes.»
Quelles sont les conséquences directes de cette décision anti avortement pour les femmes?
Interdire ou limiter l’avortement n’empêche pas les femmes d’avorter, c’est un fait. En revanche, cela empêche les femmes d’avorter de façon sécurisée et augmente les décès. Les principaux risques des avortements clandestins sont les infections, les hémorragies, des lésions de l’appareil reproducteur ou la perforation de l’utérus. Ces complications peuvent être mortelles.
Vous avez déjà entendu parler des avortements au cintre? Tout comme les aiguilles à tricoter, on l’utilisait couramment pour les avortements “faits-maison”. Il est ainsi devenu un symbole pour les personne défendant l’IVG. Selon l’OMS, 45% des avortements de l’année 2021 dans le monde n’étaient pas sécurisés. Pas moins de 47 000 femmes en meurent tous les ans à travers le monde.
Être contre l’avortement, c’est:
- Préférer la vie d’un embryon à la vie d’une mère qui ne l’a pas choisi;
- Condamner une victime de viol ou d’inceste à porter et élever un enfant qu’elle n’a pas choisi;
- Condamner un enfant à vivre dans la pauvreté si la mère est précaire;
- Imposer une idéologie religieuse à des personnes qui n’ont rien demandé;
- Condamner les femmes à faire des avortements clandestins au péril de leur vie;
Au vu des conséquences des avortements clandestins, on ne peut pas décemment être contre l’avortement, et encore moins se revendiquer pro-vie. Dans la réalité, les anti-IVG ne sont pas pro-vie, mais anti-choix.
Sources: Le Monde, 20 Minutes, Vie Publique, Ameli, Banque mondiale de données, Fonds des Nations Unies pour la population, Nouvel Obs, Le contrôle du corps des femmes à travers l’histoire. Essai de mise en perspective de la question de la santé sexuelle et reproductive des femmes dans le monde arabe, Cnews,
Retour de ping : Que défend le féminisme? ~ Comprendre le féminisme
Retour de ping : Retour lecture ~ Une défense de l'avortement, Judith Jarvis Thomson
Retour de ping : L'avortement dans la constitution ~ Comprendre le féminisme